Les CASTORS dans le GARD

par Marcel MÉRIC,  conseiller biologiste, président de la Sté de Protection de la Nature du Gard. Mars 1989

Autrefois très répandu en FRANCE, le castor a failli disparaître de notre pays. Notre département a été l'un des derniers sanctuaires où l'espèce s'est maintenue.

L'abbé BAYOL a trouvé des restes fossiles dans des grottes prés de COLLIAS et du PONT du GARD.

CRESPON, dans "La Faune Méridionale" parue en 1844, signale la présence de ces animaux sur les bords du RHÔNE et du GARDON.

Au Congrès International de Zoologie, tenu à Paris en 1889, le Professeur VALERY-MAYET affirmait que le castor n'existait plus en FRANCE que dans la basse vallée du Rhône et que l'effectif total était inférieur à une centaine d'animaux. Il parvint à faire supprimer une prime de 15 francs qui était alors accordée pour leur destruction.

A la demande de Galien MINGAUD, conservateur du Muséum d'Histoire Naturelle de NÎMES et à un vœu émis par le Conseil Général, le Préfet du GARD prenait en 1909 un arrêté interdisant la chasse et la capture du castor en tous temps.

Grâce à cette initiative, le GARD a été un département précurseur pour la protection de la nature, et la population des castors s'est peu à peu reconstituée.

Albert HUGUES écrit qu'en 1926 - 1927 les castors ont re colonisé la plupart des rivières gardoises.

CORDIER-GONY a publié en 1947 une carte de JOUBERT indiquant les stations du castor rhodanien.

Comment a évolué la situation depuis cette époque ?

Dès la fin de la dernière guerre, des bouleversements importants sont venus troubler la vie paisible des castors.

Le RHÔNE a été équipé de barrages, de berges aménagées, des îles paradis pour les castors ont été submergées ou rasées au bulldozer.

Le GARDON et autres cours d'eau n'ont pas été épargnés. Les extractions de sable et gravier ont complètement défiguré leurs lits.

Finis les méandres, les lones, les bancs de sable d'où filtrait une eau fraîche et pure!

Les aménageurs ne rêvent que de rivières bien droites avec un lit bien dégagé, des enrochements sur les berges bientôt transformées en pistes poussiéreuses. Même les petits ruisseaux n'échappent pas à la mode du re calibrage. La végétation sauvage des berges disparaît et les cultures peuvent se rapprocher de l'eau.

Que deviennent les castors après ce remue-ménage ?

Ceux qui ont survécu sont contraints de chercher refuge ailleurs. Leur territoire se réduit comme peau de chagrin. Paradoxalement, c'est souvent à la suite de ces travaux que les agriculteurs découvrent qu'il y a des castors. En effet, cet animal discret passait souvent inaperçu dans la végétation luxuriante des berges, se nourrissant de tiges de saule et de végétaux sans valeur. Maintenant, privé de sa nourriture habituelle, il est contraint de quitter le bord de l'eau et n'a que quelques pas à faire pour atteindre les cultures. Le propriétaire, horrifié, découvre les dégâts causés par "une importante colonie". Il ne comprend pas que l'on protège un animal aussi "malfaisant et qui ne sert à rien" !

A qui s'adresser pour se débarrasser des intrus ?

En FRANCE, les dégâts causés par les castors ne sont pas indemnisés. N'étant ni poisson, ni gibier, les gardes-chasse ou gardes-pêche ne se sentent généralement pas concernés. Désespéré, le propriétaire est quelquefois tenté de faire justice lui-même.

Dans le GARD, quelques bénévoles appartenant à la SOCIÉTÉ de PROTECTION de la NATURE sont maintes fois intervenus pour conseiller les propriétaires ou déplacer les animaux gênants. La FÉDÉRATION des CHASSEURS du GARD a depuis chargé un garde de prendre le relais.

Actuellement, le castor est présent dans tous les cours d'eau gardois, sauf le VISTRE probablement trop pollué. Le VIDOURLE a été colonisé par des animaux relâchés, il y a une quinzaine d'années.

Tous les sites favorables étant occupés, la population totale peut difficilement augmenter. Contrairement à ce que pensent certains, les castors ne vivent pas en colonie, mais en famille, sur un territoire bien défini d'où les jeunes sont expulsés dès qu'ils atteignent l'âge de se reproduire.

Ce sont précisément les territoires qui font défaut souvent à cause des aménagements mentionnés plus haut. Nous avons constaté que les castors capturés étaient rapidement remplacés preuve d'une population dynamique.

RÉINTRODUCTION: Le castor ayant disparu de nombreuses rivières, plusieurs associations de protection ont songé à le réintroduire. La difficulté a été de se procurer les animaux sauvages, surtout en EUROPE où les effectifs sont réduits. Le CANADA aurait pu satisfaire les besoins, mais plusieurs naturalistes hésitèrent, avec raison, à introduire une espèce étrangère. C'est donc la population du GARD qui a fourni la plus grande partie des reprises.

Depuis 1956, une centaine d'animaux ont été prélevés et relâchés en FRANCE et en SUISSE. Ces prélèvements n'ont pas affecté la population totale qui a reconstitué ses effectifs. Ils ont été effectués de préférence dans les secteurs où les agriculteurs avaient à se plaindre de dégâts. Dans l'ensemble, les réintroductions ont bien réussi et ont permis de créer de nouveaux noyaux de population qui pourront, peut-être, un jour, à leur tour, permettre des prélèvements.

CASTORS "d'OUED" : Tous les naturalistes s'intéressant sérieusement aux castors sont amenés, un jour ou l'autre, à visiter notre département pour découvrir les territoires de ces animaux. Si les barrages, les huttes, les terriers sont les travaux les plus souvent cités; il est une forme d'habitat que l'on ne rencontre apparemment en aucune autre région. En effet, dans la zone des Gorges, située entre DIONS et le PONT SAINT NICOLAS, le GARDON se dessèche complètement chaque année, et les eaux circulent dans un lit souterrain pour réapparaître en aval, en particulier au MOULIN de la BAUME. Les castors, habitant cette portion de rivière, se sont adaptés à ce mode de vie. Dans la journée, ils logent au fond des grottes où ils accèdent à l'eau qui leur est indispensable et la nuit doivent parcourir, parfois, plus d'une centaine de mètres sur les bancs de gravier pour aller chercher leur nourriture.

Plusieurs photos, prises dans la nuit du 8 au 9 septembre 1962, ont confirmé ce comportement surprenant :

Photo prise au piège photographique entre 20 h et 24 h

et photo prise au même endroit entre 0h30 et 6h

Photos Marcel Méric (droits réservés)


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Les lecteurs, désireux de compléter leur information sur les castors, peuvent s'adresser

au MUSÉUM d'HISTOIRE NATURELLE de NÎMES qui possède une abondante documentation. 

Nous leur conseillons la lecture des ouvrages suivants:

- Jean CRESPON : Faune Méridionale (1844)

- Albert HUGUES: Le castor du Rhône (1933)

- GREY OWL: Un homme et des bêtes (1937)

- Paul CORDIER-GONY: Castors du Rhône (1947)

- Paul Henry PLANTAIN: Au pays des castors (1974)

- L. LEE RUE: The world of the beaver (1964)

- M. BLANCHET: Le castor et son royaume (1977 épuisé - 1994 réédité).

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La PROTECTION du CASTOR du RHÔNE par M. Galien MINGAUD
Ex. Bulletin de la Sté d'Étude des Sciences Naturelles de Nîmes - Séance du 13 mars 1896



Parmi les mammifères qui habitent notre pays, il en est peu qui soient aussi intéressants que le castor. Ce rongeur, pourchassé de tous cotés par l'homme qui lui fait une guerre sans pitié, est sur le point de disparaître de la faune française, et n'y figurera bientôt plus qu'à l'état de souvenir, si des mesures énergiques ne sont prises en vue d'en enrayer l'extinction.

La tête de cet animal a été mise à prix pendant de nombreuses années par le Syndicat des digues du Rhône, de Beaucaire à la mer, par le Petit Rhône, qui en donnait 15 francs; cette prime a été supprimée sur les instantes sollicitations de M. le Professeur VALERY- MAYET. C'est un premier succès obtenu mais il est bien insuffisant.

On avait prétendu que les digues élevées sur les bords du Rhône, en Camargue, pour protéger les nouvelles plantations de vigne et assurer leur submersion, avaient été fouillées par des castors pour l'établissement de leur terrier et, que leur solidité en avait été compromise en temps de crues.

En réalité, ces digues, protégées à leur base par des enrochements sont difficilement attaquables pour le castor qui pratique ses terriers non dans leur masse, d'ailleurs trop souvent éloignées des eaux, mais bien sur les bords mêmes du Rhône, dans les ségonneaux, c'est-à-dire dans les terrains bas, limoneux et non cultivés, qui séparent les digues du cours du fleuve et où croissent spontanément des saules et des peupliers.

Le castor est surtout localisé dans la partie du Petit Rhône comprise entre Fourques et Sylvéréal (île de la Camargue); il y en a aussi dans le Rhône, depuis Avignon jusqu'à Port Saint Louis du Rhône, et on en trouve encore dans un des affluents de ce fleuve, le Gardon, le castor remonte dans cette rivière jusqu'au Pont du Gard, localité qui est à environ huit kilomètres de son embouchure dans le Rhône, prés de Comps.

Pendant l'année 1895, j'ai noté, pour le Gardon, sept captures de ce rongeur, donc quatre ont passé dans mes mains. Pour le delta du Rhône, je ne puis avoir de renseignements aussi précis. Depuis le commencement de l'année, à ma connaissance, trois castors adultes ont été tués: l'un dans le Rhône prés Avignon, le 20 janvier; l'autre, dans le Gardon, à Montfrin, le 10 février; et le dernier, dans cette même localité, le 22 mars.

Je viens, après d'éminents naturalistes, élever ma faible voix en faveur du castor français pour demander que les pouvoirs publics prennent des mesures énergiques afin de retarder autant que possible l'extinction de ce mammifère.

Je prends la liberté d'indiquer ici quelques unes des dispositions que les trois ministres compétents devraient être priés de prendre, d'un commun accord, pour sauvegarder la vie des derniers castors camarguais. Leur bienveillant appui ne saurait faire défaut à une si intéressante cause.

On demanderait:

- à M. le Ministre de l'Intérieur, l'adjonction d'un paragraphe spécial à la loi sur la chasse, applicable seulement aux départements du GARD et des BOUCHES du RHÔNE où sont localisés les castors, et interdisant pendant quelques années de chasser ces animaux.

Ils ont toujours été pourchassés en dehors des époques où la chasse est ouverte, et l'autorité ferme les yeux croyant voir en eux, d'après le dire des personnes qui les tuent pour le gain qu'elles en tirent, des animaux très malfaisants.

- à M. le Ministre de l'Instruction Publique, protection d'une espèce de mammifère unique et des plus intéressantes pour notre faune, que l'on pourrait par mesure administrative, conserver au même titre que les monuments mégalithiques et historiques.

- à M. le Ministre des Travaux Publics, surveillance des rives du GARDON et du RHÔNE, à ce point de vue spécial par les gardes-pêche ordinaires. On arriverait, par là, à cantonner ces curieux animaux et l'on s'assurerait ainsi qu'ils ne commettent pas de déprédations bien sérieuses en dehors des terrains sans valeur qui leur seraient, pour ainsi dire, abandonnés.

Je ne me fais pas d'illusions sur les nombreuses difficultés qu'il y aura à vaincre pour concilier l'intérêt scientifique qui voudrait qu'on assurât la multiplication des derniers castors français, et les idées préconçues de quelques propriétaires riverains qui croient avoir eu à se plaindre, autrefois, de leurs déprédations.

Aussi fais-je appel à tous les naturalistes et à toutes les sociétés scientifiques afin d'amener les pouvoirs publics à s'intéresser à ces animaux.

Au commencement de ce siècle, les castors n'étaient pas rares dans certains fleuves de l'Europe centrale. De nos jours on n'en trouve plus qu'en Russie, en Allemagne et en Autriche, et là, loin de les proscrire, le gouvernement a édicté des règlements sévères en leur faveur. Leurs destructeurs sont frappés de fortes amendes. Ces industrieux rongeurs, de mœurs douces, ne sont donc pas considérés comme nuisibles sur les bords du Dniepr et de son affluent le Pripet, du Volga, du Petchora, de la Vistule, de l'Elbe et de son affluent la Mulde, et du Danube.

Les castors français sont si peu nombreux aujourd'hui et si clairsemés qu'il me paraîtrait utile aussi de dresser une carte de la région du bas Rhône indiquant les endroits qu'il habitent dans le GARDON et en Camargue avant la fin du XIX e siècle, pour se rendre un compte aussi exact que possible de ceux qui existent encore et de l'emplacement de leurs terriers. Ce travail serait une suite naturelle au mémoire de M. le Professeur VALERY- MAYET, "Le Castor du Rhône" (Compte rendu des séances du congrès International de Zoologie. Paris, 1889, p.58), et aux quelques notes que j'ai publiées sur le même sujet dans le Bulletin de la Société d'Etude des Sciences Naturelles de Nîmes, (1889, p. XXIV; 1894, p. 42 et p. 130; 1895, p. XXXIV, LXIV et 100).

Le castor d'Europe comme son congénère d'Amérique, héberge dans sa fourrure deux commensaux du groupe des mutualistes (Van Beneden), un acarien et un coléoptère;

L'acarien est le Schizocarpus Mingaudi Trouessart, sarcoptide pilicole qui se nourrit de la matière sébacée, sécrétée par la peau du castor et qui enduit les poils de l'animal; le coléoptère est le Platypsyllus castoris Ritsema.

Il est à présumer que ce coléoptère à l'état de larve fait la chasse au sarcoptide et le dévore; adulte, il se contente de sucer la matière sébacée dont nous avons déjà parlé.

L'extinction du castor, dans notre région, entraînera fatalement celle de ces deux intéressants arthropodes.

***

Lettre de Galien MINGAUD  au Dr E. TROUESSART de Paris

Nîmes, le 26 novembre 1904

Mon cher Collègue,
Je vous envoie des poils de castor qui se sont arrachés de la fourrure de cet animal lorsque je le peignais pour rechercher le Platypsyllus. Je vous serais très obligé de les examiner pour savoir s'il y a des Schizocarpus. J'ai examiné ces poils au microscope et n'ai point aperçu de ces acariens. Peut-être serez-vous plus heureux.

Le castor qui m'a fourni ces poils a été capturé vivant, à l'aide de filets placés aux entours de son terrier le 12 novembre, à l'île de la Cappe, dans le Rhône, à environ 3 kilomètres sous Arles. Le pêcheur, au bout de 8 jours, ennuyé de le garder vivant l'a tué et pour cela l'a noyé. C'est le lendemain, 20 novembre, qu'il me l'a apporté. Je me suis empressé d'examiner attentivement le sac qui le contenait puis de le peigner consciencieusement en tous sens et je n'ai point trouvé de Platypsyllus !!!

J'attribue l'absence de ce coléoptère, je l'ai trouvé en toutes saisons sur d'autres castors, à ce que ce castor a été placé en captivité dans de mauvaises conditions, qu'il a dû souffrir et puis, point capital, sa noyade qui a contribué, probablement, pour une bonne part a noyé aussi le Platypsyllus en les forçant à quitter le corps de leur hôte lorsque celui-ci s'est refroidi. Vous savez comme moi que les parasites abandonnent le corps de leur hôte lorsqu'il est mort.

Ce castor était un mâle et pesait 22 kilogrammes. C'était un bien bel animal ! Je l'ai dépouillé pour garder la fourrure et son squelette figurera dans nos vitrines. Le Muséum de Nîmes n'avait pas encore de squelette de castor.

La peau, fraîche encore, bien décharnée, pesait prés de 5 kilos. Les poches à castoreum pèsent 230 grammes. Ce sont les plus grosses et les plus lourdes que j'ai eues jusqu'à maintenant. L'os pénien pèse 60 centigrammes et mesure 34 millimètres de longueur . Dans le courant de cette année, à ma connaissance, il a été tué quatre castors dans le Rhône.

Avez-vous publié votre étude sur la genette de France? Le professeur DUSTOLET m'a accusé réception de celle que vous lui avait offert en mon nom.

Veuillez agréer, mon cher Collègue, l'expression de mes meilleurs sentiments.

                                                                      G. MINGAUD

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